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eDEN#5 Qui rave? ou les raves expliquées au baby boomers

De quoi s'agit-il? Vous avez peut-être entendu parler de cérémonies illégales de consommateurs d'extasy, entendu des sons bizarres un jour de dérèglement de votre FM (Nova, FG ou NRJ - mais très tard la nuit), ou au moins leurs avatars commerciaux sur une pub TV pour une compilation techno. Peut-être avez-vous décrypté un flyer? Bref, vous savez que les raves sont nées dans le milieu des années 80 en Angleterre, qu'elles furent interdites par Thatcher et qu'elles sont généralement associées à la consommation d'extasy. Ici s'arrête la définition clinique du phénomène telle que la connaît l'opinion. Il seraît inutile d'en savoir davantage si cela se tenait dans les limites évoquées. On peut aussi clore le débat à la mainière des rock-critiques, en décrétant que "de toute façon, c'est juste un truc pour prendre la dernière drogue à la mode". Cette explication est un peu courte, car la House persiste et intrigue.

ELLE S'ETEND: sa présence "statistique" est incontestable. Elle investit les charts UK, elle déplace des dizaines de milliers de fidèles à travers l'Europe: la Belgique, l'Italie, l'Allemagne prennent le relais. ELLE INFLUENCE les autres musiques (Moby remixe en techno Michael Jackson!), elle investit l'environnement sonore des 15-20 ans, elle atteint les banlieues blanches après avoir conquis les leaders du bon goût, elle s'installe dans les clubs, les fêtes; elle passe des alliances souterraines avec Sega et Nintendo. Ses signes extérieurs se répandent dans la société (chaussures Fila, smart-drinks) ou s'y dissolvent (la totoche des 10-15 ans est un dérivé des sucettes bourrées de vitamines mâchonnées par les ravers anglais en 88!). ELLE INTRIGUE ET AFFOLE: l'assimilation expéditive rave = extasy revèle un malaise évident des gardiens de la culture rock officielle. C'est un moyen commode de ne pas voir les premiers signes d'une perte de contact avec une culture étrangère et plus jeune. Cet argument est imbécile: les Beatles sont-ils des vendeurs de LSD de banlieue?; le Rock: combien d'overdoses avant de parvenir au statut de culture officielle? Tout mouvement musical a eu, a et aura parmi ses attributs une assimilation avec la drogue de ses origines (l'époque ou l'endroit). Autant de soudaine ignorance traduit bien la frayeur des baby-boomers face à leur inéluctable perte de pouvoir idéologique.

LA HOUSE EST D'ABORD UN MOUVEMENT MUSICAL SIGNIFICATIF. Comme tout mouvement musical vivant, il se préoccupe peu d'analyser ses origines pourtant évidentes et lointaines (électronique, soul, disco, pop). Sa diversité, son histoire propre sont déja riches de chapelles: ainsi la techno, composante majeure et structurante, se décline-t-elle de Detroit à Leeds, de Rotterdam à Rimini, en se chargeant d'énergie batave, de voix de paradis, de sucreries gospel, ou d'une pureté électronique toute... britannique. Il vous faudrait écouter, mais cela ne sera pas suffisant, car les styles musicaux constituent la manifestation d'un mouvement plus profond.

PARLONS DU SENS: ces jeunes gens qui se cachent pour sourire ensemble révèlent tout simplement la recherche tribale d'un mode de penser et de vivre. Rien de bien nouveau, direz-vous: la mécanique sociologique est classique: une génération, une utopie, une musique, une façon de se vêtir ou de s'estourbir. Là-encore, des composantes sont apparemment familières: des traces de baba-coolisme (peace, tout le monde s'aime), un relent de new age, des symptômes de religiosité. Vous trouverez même étrange que ces jeunes gens n'aient aucun discours cohérent pour emballer ces "vieilles lunes". Mais ne vous y trompez pas: si les ravers ne parlent pas, ce n'est pas parceque ce sont des abrutis précoces. C'est parce que LEUR IDEOLOGIE N'EST PAS CONQUERANTE. ELLE EST CONTAGIEUSE. Ils vous diront "moins de mots, plus de rythme) (aucun rapport, donc, avec les verbiages du rap) et ce sourire sera la réponse la plus cohérente qu'ils pourront vous faire: et c'est bien ce sourire tolérant et heureux qui frappe immédiatement le "touriste" fraîchement débarqué dans une rave. Ils ne peuvent même pas vous proposer d'écouter un disque, car ils savent que l'initiation s'opère dans la nuit, dans les milliers de sautillement, les mains levées, les sifflets, etc.

Les ravers restent donc DISCRETS et polis, alors qu'ils célèbrent des retrouvailles telluriques. ILS SE DEBROUILLENT. Ils préservent leur monde fragile et veulent construire leurs valeurs en paix: ils quêtent L'ENERGIE, celle qui est nécessaire pour danser une dizaine d'heures, la TOLERANCE qui a tant manqué à votre jeunesse sectaire. ils établissent une cohérence tribale, fondée sur la recherche du plaisir et de la transe: pourriez-vous leur reprochez de chercher leur voie vers le plaisir, quand le premier amour peut être mortel? Soyez donc rassurés, les ravers ne vous menacent pas; comment d'ailleurs désirer tuer des pères si fragiles, ou s'affronter à des valeurs qui se sont déja écroulées? C'est parce qu'ils redoutent votre morosité blasé qu'ils se cachent la nuit pour sourire entre eux. Par contre, les ravers exigent le RESPECT; car leur mouvement est respectable: c'est une tentative autonome et sincère de bricoler le mode de vie et de penser du futur. Bien sûr, ce phénomène peut disparaître soudainement - par récupération maladroite ou par agressivité extérieure - (il ne sera jamais du côté de l'ordre moral ou de la violence raciste). Le mouvement rave est simplement une alchimie tonique, optimise et positive. C'est rare. Il vous accueillera. Avec plaisir - peace for your body, for your mind, for your soul. PSYCHO C