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eDEN#6 Le plus grand tabou de la scène house est d'avouer, de temps en temps, qu'... on s'emmerde

Qu'on n'a pas envie de sortir. Que rien n'est là pour nous trainer dehors. Que les trois dernières nuits passées dehors étaient vraiment merdiques. C'est une chose impossible à dire parce qu'on passe soit pour un vieux raver blasé, soit pour rabat-joie avec un mauvais sens du timing. Mais je ne vois pas pourquoi j'aurais des scrupules: j'ai de plus en plus de mal à m'amuser dans des clubs ou des raves. Au lieu de rassembler et d'exalter des esprits libres, les clubs semblent concentrer toutes les frustrations de la scène house. C'est l'apologie de la confrontation et des clans. On défend un style de house par rapport à un autre. On en arrive au comble du snobisme quand les puristes hardcore mettent au nues Sven Väth, qui est peut-être génial mais qui a été, il faudrait quand même le rappeler, Electric Salsa. On est en pleine science-fiction analphabète quand on entend des gosses - qui ne savent rien - dire que Carl Cox est "commercial". Ils n'ont jamais entendu Sasha, Alfredo, Graeme Park mais, pour eux, c'est du déjà vu. L'époque n'est tout simplement plus au love power de la fin des années 80, il faudra bien l'admettre. Je pense que les organisateurs des raves françaises ont beaucoup à répondre de cet état d'esprit. Il est tellemennt plus facile de faire dans le glauque que dans le glitter. A force de vouloir rester farouchement indépendantes, les raves françaises ont amené tout ce qui est noir et négatif et l'omniprésence de la techno dans cette scène n'en est qu'une manifestation secondaire. Après tout, le simple fait que pas un seul team d'organisateurs n'ait survécu aux pressions et aux disputes fratricides est une bonne preuve d'autodestruction. Comment comprendre que des organisateurs de rave puisse attirer 5000 personnes puis disparaître dans le mois qui suit? No future? You bet. En fait, à chaque fois que nous allons dans une rave, nous ne voyons pas ce qui est, nous imaginons ce qui devrait être. Après toutes ces années, nous n'avons toujours pas droit à la qualité. Les déceptions successives ont été trop nombreuses. Qui a envie de se geler dans un entrepôt pour le seul amour de la pureté de l'underground? Qui a envie d'étouffer au Rex, qui a envie d'attendre 2 heures pour entrer à la rave de FG? Je sais très bien ce qu'on va dire: la mère Lestrade est vieille, donnez-lui une pilule. Le pire, c'est sûrement vrai et ça ne m'a jamais fait de mal. N'empêche. Qui peut être sûr que la scène a pris une bonne direction? On a beau être naïf et croire indéfiniment au développement de la house, il y a 3 ans, quand on imaginait une rave, on pensait à quelque chose de multicolore et de positif. Aujourd'hui, on a cette idée globalement sombre et apocalyptique. C'est un symbole très évident. La rave n'est plus aujourd'hui une alternative aux problèmes que nous vivons tous les jours, elle en est la somme. La seule issue de secours reste, plus que jamais, la drogue. Et c'est vraiment très inquiétant. Peut-être que l'hiver a été trop long. Peut-être que l'esprit baléarique est parti pour toujours. Peut-être que, plus que jamais, il faut aller voir ailleurs. Mais l'esprit authentique de la house est toujours là, c'est juste que nous ne pouvons plus le voir. Il est dans l'air, autour de nous, il est dans ces disques que nous achetons et que nous n'entendons jamais dans les clubs ou les raves. Le seul travail des ravers et des organisateurs est de le capturer et de le concrétiser par des lumières, un son, une ambiance, une chaleur. Cette idée de la défonce, qui prévaut aujourd'hui, n'est pas la house. C'est juste un des aspects de son attrait. Il y a autre chose. DIDIER LESTRADE