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eDEN#7 Happy Birthday?

La révolution a commencé il y a maintenant un peu plus de 5 ans. Cinq années mémorables de fêtes hédonistes ayant pour bruit de fond continu cette incessante grosse caisse house. Un boom-boom infini qui lorsque l'on se rapproche de la piste de danse se transforme en une féérie de sensations extraordinaires, comme une palette musicale où viendraient se poser avec vigueur et enthousiasme les influences et idées les plus diverses. Impossible de la décrire, cette musique mue comme un serpent tous les quelques mois. C'est ainsi que durant ces 5 années elle a été à tour de rôle acid house, garage, italo house, deep house, techno, trance, progressive house, breakbeat et même indie-dance! Insaisissable, les étiquettes qu'on ne manque pas de lui coller l'oblige littéralement à inventer de nouvelles directions, de ne pas s'attacher à une formule établie, mais au contraire d'avancer pour continuellement proposer quelque chose de neuf. Car le public a faim. Il dansera jusqu'au moment où les lumières se rallumeront et veut toujours plus d'hymnes et de "tunes" (des airs!). Ce qui lui importe le plus, c'est de ne pas s'enfermer dans un univers prévisible mais au contraire de s'ouvrir à l'infinité de variations que cette musique prop se. Tout est là pour la génération house: vivre autre chose en dehors d'un monde qui ne vous laisse pas nécessairement de place. Laisser libre cours à la fantaisie, aux sentiments, à la joie de vivre et ne plus supporter la carapace contraignante d'un jeu social sans queue ni tête. Echappatoire dans l'oubli? Probablement, mais aussi et surtout l'une des dernières manières de rejeter - en groupe - la banalité de la vie et ce, avec le sourire. Danser n'est pas nouveau, la culture rock avec ses ballrooms rockabilly, ses gigantesques boites mods et ses clubs punk-rock a longtemps fourni la bande son tribale à des générations d'adolescents déboussolés et en colère. Une révolte violente pour provoquer et faire réagir, un pied de nez aux robots de la société d'après-guerre. Ce qui est plus nouveau en revanche, c'est que désormais les danseurs veulent participer à l'alchimie d'une soirée réussie en y apportant leur optimisme et leur énergie, être acteur au même titre que le DJ. Aujourd'hui, la spirale du chômage et l'angoisse du Sida ont créé des générations entières sans avenir et incapables de communiquer. Ainsi, on parle depuis des années de l'avènement d'une société de loisirs et tant qu'à ne pas travailler, pourquoi ne pas inventer de nouveaux endroits de rencontres, où l'on s'amuserait, où l'on danserait pour libérer l'énergie, essayer de briser la glace ensemble, comme un seul corps asexué, où l'espace d'une nuit, chacun aurait le droit de prendre du plaisir, de parler à un inconnu ou de se sentir dans sa vraie famille et à l'égal de l'autre. Finalement, la révolte est devenue intérieure et ne se pratique guère plus qu'à l'échelle humaine. De l'écologie au désarmement, les idéaux importants des hippies ont été assimilé et la non-violence - un peu avec l'aide de la pilule de l'amour - est devenue une réalité à laquelle certaines classes avaient rarement droit. Mais les idéaux sont définitivement morts. Le monde n'a pas fondamentalement changé après les années 60, au contraire, et la vague punk, dernier soubressaut "middle-class" pour nostalgiques de Mai 68, n'a fait que proclamer haut et fort la mort du rock et son pseudo-pouvoir de transformer la société ("We Are The World" & Co). Alors aujourd' hui, que reste t-il vraiment à part l'insouciance, "la fête", ce lieu magique où l'on peut perdre la tête et communiquer différement? Ceux qui ne perçoivent pas la force de cette musique parleront de disco, mais c'est une comparaison facile et limitée. Il est vrai que tout a commencé dans les clubs au milieu des années 80 entre Chicago, Manchester et Ibiza. Aux USA, à l'époque, les DJs des boites gay black peaufinent avec très peu de moyens un disco futuriste qui s'inspire largement de la new-wave européenne. Le nord de l'Angleterre, qui a toujours eu un faible pour la soul speed, craque immédiatement (l'Hacienda, cf eDEN n°5) et c'est une large proportion des 18-30 ans qui s'enflamme pour l'expérience psychédélique des fêtes acid. La plupart des clubs british ferment à 3h du mat mais le besoin de danser est trop fort, les warehouse raves illégales bourgeonnent un peu partout et repoussent les limites en entamant de vrais marathons dance comparables à ceux connus durant la dépression des années 30. À Ibiza, simultanément, l'insousiance est portée à son comble grâce à l'Ecstasy qui commence à débarquer massivement. Petit à petit, cette nouvelle conception de la fête gagne toute l'Europe. Tous les week ends, un peu partout, des milliers de danseurs trempés de sueur se retrouvent pour célébrer cette religion populaire et spontanée. Désormais, chaque pays possède ses soirées, DJs et labels. Aujourd'hui, c'est à chacun de cultiver sa différence, sa personnalité musicale. C'est à chacun d'exister en tant qu'individu plutot que de s'inspirer de rôles modèles clichés (il n'y a plus de stars!). En fait, la seule vraie analogie que l'on puisse trouver avec le disco, c'est cette dictature génante (qui a bel et bien tué les discothèques au début des années 80) d'un son unique et uniforme sur les pistes de danse, un extrémisme que prônent de nombreuses raves à programmation musicale limitée si ce n'est abétissante, comme s'il fallait faire croire aux danseurs qu'il n'éxiste qu'une seule vérité musicale. Inévitablement, il arrive un moment où il n'y a plus de surprise, les idées se répètent en circuit fermé, les drogues lassent et le public se désintéresse. Alors gageons que la dance moderne saura TOUJOURS conserver son esprit d'ouverture musicale et regarder à droite ou à gauche pour s'inspirer, se remettre en question et continuer, ainsi, d'être la musique/ culture populaire la plus excitante de la fin du siècle. Celà en vaut la peine. JERRY BOUTHIER