M/M (Paris)
par Pascale Cassagnau, 2005

Il n’est aucun ornement qui ne se laisse regarder de deux côtés distincts au moins: à savoir comme formation de surface mais aussi comme configuration linéaire. Mais la plupart du temps les diverses formes , qui peuvent se grouper très différemment, autorisent une pluralité de configuration.” ( Walter Benjamin)

Mathias Augustyniak et Michael Amzalag occupent depuis le début des années 90 une place singulière dans le paysage du graphisme en France. Venus au graphisme en ayant attentivement étudié les travaux de Neville Brody, Peter Saville ou Malcom Garnett, et plus généralement la scène anglaise post-punk, ils ont développé au fil des années une recherche et une démarche qui consistent à placer le graphisme dans son contexte élargi. Au delà d’une position critique - analyse critique des signes et des icônes  de la vie quotidienne et de la consommation, ils ont fait d’une réflexion sur les capacités propres du graphisme à communiquer sur lui-même, l’objet principal de leur travail. Cette auto-réflexivité passe par le dialogue avec les autres arts notamment ( Art contemporain, Opéra).

Si le graphisme est un fil conducteur qui court entre les arts, M/M ont inventé à la fois un imaginaire et une « opérativité » pour le graphisme qui consiste à repenser l’espace entre la surface et la troisième dimension, entre les surfaces et les fonds , à redéfinir l’ornement contemporain, ainsi que la notion de style.

Dans son essai Sur le haschich, Walter Benjamin analyse les caractéristiques et les fonctions de l’ornement, en soulignant le paradoxe constitutif de l’ornement: l’ornement est cette entité de surface, disposée et exposée pour le regard, qui néanmoins représente un espace profond, dérobé et secret. Pour la théorie classique des Arts et de l’Architecture, ainsi que pour la Musique, l’ornement constitue une pièce rapportée, non légitime, néanmoins nécessaire à la caractérisation des formes, lié par ses figures à la dialectique du code et de l’exception. Dans son texte The Sense of Order , E. Gombrich replace la question de l’ornement dans la perspective d’une dialectique fine qui unit celui-ci à l’imaginaire et à son ordre . Pour sa part, dans son essai consacré à la Théorie du nuage, Hubert Damisch définit l’ornement comme ce qui participe à une structure d’exclusion , en désignant en négatif ce qui est extérieur à son ordre, dans la perspective d’un code comme figure. L’ornement engendre le paradoxe d’ une entité autonome dotée de fonctions de distinction et de différenciation ,tout en répondant à l’injonction de discrétion, d’invisibilité. Le champ illimité de l’ornement et la variété des possibles de ses configurations sont strictement proportionnels à sa non- autonomie.

Ainsi l’ontologie de l’ornement est-elle homologue à celle du style: le style serait ce plaisir pris à la lecture d’un surcodage, dans la perception néanmoins d’un écart entre le code et l’exception. Comme le critère de style, l’ornement vient se situer au croisement du singulier et du collectif. De ce point de vue, le style et ses ornements sont toujours déjà engagés dans une structure de communication. Ils en constituent les conditions de possibilité et la syntaxe.

M/M font de l’ornement et du style, me semble-t-il,  une fonction critique pour le graphisme, “un vecteur de signes graphiques”selon leur propre expression,  un outil. L’invention d’un idiome graphique s’exerce ici à travers la multiplicité des supports (papiers peints, affiches, livres, films d’animation, couvertures de cd, collection de vêtements ) , des occurences ( festival, expositions, spectacles), des domaines diversifiés (art, mode, publicité, musique),  des commanditaires (Sony, Yamamoto, Jil Sander, Martine Sitbon , Vogue, Björk, Balenciaga..) comme véritable condition et médium nécessaire à la recherche graphique. Par ailleurs, cet idiome graphique entre dans la définition de ce que les deux graphistes nomment un “outil pour la création d’un décor/environnement” aux confins de la deux/troisième dimensions.

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